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Enfant, on lui a dit que rien n’était plus fort que l’amour. Alors il l’a cherché. L’a trouvé. L’a idéalisé.

Sur cette idée, les gens sont venus clouer des planches. Marquées grossièrement des mots clefs de « respect », « confiance » ou “connivence”. Un sacré mur de planches, croyez moi ! Plus tard, il devrait apprendre qu’Utopie, cette étrange encre les composant, vomissant Fierté, son odeur de soeur, couvrait en fait les vers d’une réalité qui rongeait le bois de leurs certitudes, couvait en fait l’envers d’une alité qu’était la voix de leurs aptitudes.

Chaque étincelle dans les yeux de ces humains n’était en fait que le feu d’une étoile qui s’éteignait. Ils juraient en son nom, s’enlaçaient sous son oeil, s’empressant d’oublier dans les notes d’une douce voix que le témoin de leur union s’était peut-être déjà consumé.

Alors il les regardait, ces amoureux. Entichés d’un regard, d’un sourire, d’une ombre étrangère s’invitant dans la leur. Ils faisaient des projets, projetaient leur envies, et en piétinaient l’ouvrage quand l’hiver approchait, glaçant les gouttes d’un oeil déçu au milieu de quelques flocons. Givrant le coeur d’un corps reclus dans des mensonges abscons.

Et lors que cette encre tapissait les murs de son indifférence, elle finit par couler sur le sol d’une conscience. La conscience jadis doute, mua en certitude, pour finir en présence. Si présente. Sa présence, ce présent.
Sarah.

C’était le soleil levant sur la plage de ses craintes, toisant la mer de ses doutes qui s’acharnait à lécher le sable de ses questions. C’était cette grosse boule qu’on lui extirpait du ventre et qu’on exhibait en trophée, arborant cette couleur vive d’une colère d’y avoir logé trop de temps.

Elle le rendait fou. L’abreuvait de bonheur, le berçait de son corps, embrasant son désir de ses délicates courbes, étouffant de son rire ses remords les plus fourbes. D’une longue brasse dans sa folie n’en sortait altérée, ignorant la marée, s’en moquant de messes-basses.

Et cette histoire est nimbée d’inepties, l’acte final d’une grande mascarade, comme son âme toute entière l’a d’ailleurs toujours été, comme cette jeunesse dont il ne se souvient plus, empruntée à son hôte vaincu de déception, ayant attiré de sa dépression l’oeil malveillant de ce parasite. Car ce dernier invité n’aura jamais connu que cela, l’artifice. Oui lui, Baal, seigneur du mensonge et de la tromperie, voyait désormais son imposture menacée par ce frêle être qu’était Sarah, s’évanouir au contact de sa peau ou sous l’écho de ses soupirs.
Baal était comblé, et il était son propre comble, se voilant la face au propre comme au figuré de cette apparence qui l’habillait, vêtu de sa dernière tromperie, de ce dernier simulacre qu’il tisserait.

Et c’est bercé des embruns de l’océan sous ce soleil de plomb, que Baal se feinta d’un sourire.

Aux méfaits d’une éternité.
A Sarah.
A cette soudaine mortalité.
Et à cet ultime mensonge qu’il cracherait au visage du trépas.

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Elkior, c’était pas un dur. C’était LE dur. Pas de ceux qui traînent dans la rue, qui travestissent leur candeur derrière des mots dont leur pensée n’atteint pas la portée. Non. Elkior avait tout fait, tout vécu, et survécu. Et maintenant, il savourait une vie léthargique bien méritée, le mauvais diable. Enlèvement, chute libre, balles, venin, lames, tabourets, pinces à linge, il avait croisé la mort maintes fois et de bien des façons, tapies au fond d’un verre comme toutes griffes dehors au bord d’un gouffre.
Il avait eu peur, très peur même. Enfin, il le croyait.
Un carreau cassé au 18 d’une rue paumée. Une vieille s’affole et passe l’appel fatidique, celui qui force les fesses du bon flic à quitter café et douce quiétude de la bicoque de garde.
« Jetez un œil », qu’ils ont dit. Le classique.
Le « 18 », c’était pas l’écriteau cramé qui l’aurait clamé en tout cas. Foutu travail, plus que 2 ans et on troque le flingue pour une bouteille vissée à la main. Peu reluisant, mais c’était son plan, l’ultime bise à son amie de toujours.
Lampes brisées, herbes à la hanche, on y voyait aussi bien que dans l’arrière de la plaignante. Mais c’était le boulot, fallait y aller.
Frein à main; clefs; lampe torche; sarcasme; Tout y est, on peut y aller.
En y repensant, c’était pourtant bien parti. Belle gueule, le menton haut. Il avait de l’aplomb le gaillard. C’était pourtant bien parti oui, bien parti… et pourtant. Une sournoise malveillance semblait imprégner chaque morceau de bois pourri, chaque coin d’ombre de cette demeure que le monde lui même semblait rejeter.
Elkior avançait d’un pas prudent mais assuré. Il longea d’abord le mur vernis, dont la peinture autrefois lisse et nacrée s’écaillait largement, laissant paraître les longues balafres de la vérité rongée de termites qui se tapissait derrière, l’ensemble évoquant une vieille peau fripée l’ayant cédé aux gerçures.
Il jeta un regard par la fenêtre, et face à l’absolue noirceur des lieux, se décida à y faire pénétrer le faisceau de sa lampe torche.
Rien. A l’évidence, les seuls résidents des lieux – hors acariens – devaient être ces grains de poussière que le vent charriait dans la lumière.
Ce dernier se mit d’ailleurs lentement à siffloter, agitant d’abord quelques mèches brunes du caïd. Puis le sifflement enfla, devint murmure, avertissement, puis démence. Une bourrasque surprit Elkior. Perdant l’équilibre, il trébucha en arrière, fit une roulade puis se redressa sur les genoux, avant qu’une autre bourrasque aux manières humaines ne le redresse et ne le plaque contre la porte. Une troisième consœur vint alors le percuter, plus violente que toutes les autres et, lors que son propre corps faisait voler la porte en mille morceaux, Elkior fut terrifié de voir l’air se fendre d’un sourire. Un sourire narquois. Un sourire enjoué.
Le flic cligne des yeux. Nulle trace de vent, de bris de bois, ou même d’apparition fantasque et éthérée. Juste cette vieille maison. Et la porte, là, intacte, dressée comme un défi à quelques centimètres à peine du nez du parvenu. Il cligne une nouvelle fois, sa main est sur la poignée de la porte. Sursaut. Retrait. Suée. Hésitation. Notre homme secoue la tête, et se saisit de la poignée.
Ça avait commencé par un grincement. Le bois pourri de la porte frottant plus que glissant sur ses gonds. Puis la porte était tombée, arrachant un sursaut à Elkior. Un soupir. Derrière ! Rien. Une fine pellicule de sueur couvrait désormais le front du visiteur. Car visiteur il l’était, ça oui, sinon même invité, si tant est qu’il le sache. Mais il n’en savait rien, et le doute s’instilla doucement en lui.
Le température avait chuté drastiquement.Tremblements, claquements de dents, Elkior semblait désormais expirer plus de fumée que n’en aurait produit une cigarette. On était pourtant en été, en Floride. Pourquoi diable ferait-il froid ? On était en été, bordel !
Un mouvement à gauche! Un chat. Le flic crût alors entendre un soupir dans son dos. Tandis qu’il se retourne, une voix susurre à son oreille. Distante, glaciale, incompréhensible. Nouveau sursaut. Deux pas en arrière. Un mur. Que ? Un mur ? Et la porte alors ?
Il fait sombre. Elkior cherche à tâtons sa lampe torche et en fait jaillir la lumière salvatrice. Qui s’éteint aussitôt. « Putain ! ». Il veut lancer l’objet de sa colère, mais sa main est vide. Vide ? Il se retourne. Le chat est toujours là, mais ses yeux sont désormais vitreux, il ne semble pas vraiment le regarder, et pour cause, il exsude la mort par tous les pores, ses membres inférieurs baignant dans la marre de ses entrailles prenant l’air.
Un ricanement strident dans la pièce d’à côté. Elkior s’affaisse contre le buffet, mais glisse sur quelque chose, sa tête heurte le bois rongé qui se brise dans sa chute. Moment d’égarement, sa vision s’adapte. Une femme le toise à quelques mètres. Immobile, la tête inclinée sur le côté, elle semble l’évaluer, elle, si pâle qu’elle en parait éthérée.
Panique.
« C’est un cauchemar mec, pince toi, Elkior réveille toi mon gars putain! »
Il rouvre les yeux. Plus rien. Une main l’agrippe soudain par le col de sa chemise. La force colossale de la femme le soulève et le projette contre le mur avant de disparaître à l’angle le plus proche. Elkior supplie. Sa dignité perdue s’écoule le long de ses jambes. Ses jambes flanchent et il s’écroule à nouveau, le coude encaisse et se brise. Un cri. Déchirant. De peur plus que de douleur.
Puis le silence. Plus rien. Non. Non non non, pas « rien ». Un fourmillement se fait sentir. Elkior ressent comme une démangeaison le long de ses jambes. Il baisse les yeux sur le spectacle macabre qui s’y déroule. Asticots, vers, termites, sangsues, Ils émergent du plancher et se dandinent à ses pieds, et sur ses jambes il progressent, inexorablement. Nouveau cri, Elkior tente de se hisser en haut des marches qui s’offrent à lui. Nouveau cri : mauvais bras. La peur lui offre des ailes que seul son bras gauche décide d’utiliser, pour gravir une à une ces marches qui semblent n’en jamais finir.
12. 13. 14. 2e étage. Hein ? 2e étage ? Mais il n’y avait pas d’escalier en arrivant. Elkior regarde derrière lui, mais il n’y a pas d’escalier. Ni d’insectes ignobles rampant le long de ses cannes. Seule la douleur cuisante de son bras semble le rappeler à cet horrible cauchemar.
La pâle lueur de la lune filtre par une unique fenêtre au centre de l’immense pièce occupant l’étage. Une lueur diffuse qui laisse place aux ténèbres au fond de cette dernière. La lueur faiblit. Non, s’amincit. Le faisceau diminue, encore, encore et encore, l’ombre approche, et se rapproche. Lentement, sadiquement, comme un chat jouant d’une souris. Un râle sourd se fait entendre, suivit d’un rire étouffé. Il y avait là quelqu’un… quelque chose… La peur était là. Tapie. Elle occultait tout. Douleur, joie, questions, et la peur elle même, telle qu’on la définit, ne laissant place qu’au vide. L’essence même de la terreur.
Un mètre. Quatre pas. Trois. Deux. Elkior se jette par la fenêtre – une fenêtre ?. Geste irréfléchi, mû par la peur. La peur ? Non. La terreur. C’est de terreur que nous parlons. Elle était toujours là, sur ses talons, tandis qu’il dégringolait sur le toit d’une véranda. Il heurte le sol et se retrouve derrière la maison. Herbes hautes, pénombre. Il rampe avec l’énergie du désespoir. Derrière lui, une curieuse brume dévale la façade arrière, bondissant par volute pour chuter à nouveau, comme des bras sans vie tentant d’agripper le vide, pour s’évanouir aussitôt. L’immense volute progresse, tanguant à gauche, à droite, rampant, volant, coulant le long des tuiles pour finir par s’effondrer au sol, et reprendre aussitôt sa course vers son but : ce petit tas de chair narquois se traînant juste devant.
Lampadaire au loin. Écriteau calciné. Vieille voiture. La voiture ! La voiture ! Elkior rampe. A genoux. Debout. Il commence à courir, trébuche, se relève. L’antre brisée par laquelle il était sorti ne reflétait désormais plus aucune lumière. L’ombre gagna le bois clair, puis grandit, s’agrandit encore. La maison entière devint noire. La lune faiblit, mince luciole dans une mer de ténèbres, assistant à l’énième chute du poursuivi. Les yeux écarquillés, Elkior ne pouvait plus penser. L’esprit tétanisé, le corps se traînant à grand peine vers le véhicule, le teint plus pâle que l’astre disparu.
L’ombre gagna les herbes hautes, qui perdirent toute once de couleur, puis qui se mirent à s’agiter, de gauche à droite, puis de droite à gauche, toujours plus vite, toujours plus loin, toujours plus près du véhicule.
Elkior heurta quelque chose. Du métal. La porte. Elle était là. Il pouvait essayer d’y introduire la clef. Mais il ne pensait plus. Il ne voyait plus rien. L’obscurité était partout, il était appuyé contre une voiture qu’il ne voyait pas, la pupille dilatée à s’en rompre, les traits tendus à l’extrême. Il attendait.
Silence absolu.
Toujours le silence.
Encore le silence.
Puis une caresse, glacée, le long de sa nuque. Et une seconde, tout contre sa joue, comme si la froide main de la mort elle même lui effleurait la peau. Et enfin, un murmure, si froid que le corps d’Elkior cessa tout à fait de fonctionner.
C’était la fin, et il ne s’en rendait même pas compte. Alors qu’il oscillait entre la vie et la mort, une faible lueur apparût au loin, très loin dans l’horizon. Une flamme. Comme celle d’une bougie. Seul ton de chaleur sur un tableau aux teintes si délavées, elle oscillait tout autant qu’Elkior, au rythme des battements de son cœur. Tantôt de la taille d’un pouce, elle disparaissait parfois brièvement, pour renaître aussitôt, comme hésitante, ne sachant que lire dans les yeux vides qui la dévisageait.
Les caresses étaient multiples à présent, lascives, incessantes, insistantes, et glacées, froides, ô combien froides. Le murmure s’intensifia, lancinant, et une voix qui semblait hésiter retentit alors dans tout son être.
«  Que sais-tu… de la peur ? « 
La flamme s’éteignit.

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C’est un beau soir pour prendre la plume, un soir commun, ou la pâle lumière de la lune se perd dans l’océan de noir dont s’est drapé le ciel.
Je me nomme William D’Albose, et je fais partie de ces gens qui croient au pouvoir des mots.

Vous pensez tout savoir des mots. Ceux que vous murmurez au ciel la nuit, que vous perdez parfois, ou qu’une colère vous fait cracher. Ces mots formulant des promesses, chaque année, pour ne pas trouver celui de « Conviction ».
Je les ai tous connus, ceux que vous employez, ceux du riche comme ceux du pauvre, masque du vice tant qu’As du vol, ceux-ci remplissent mes poches, les autres emplissent mes sacs.
Vous l’ignorez, c’est vrai, ce poids qui leste mes sacs, vous l’ignorez, pas vrai ? Si je les ouvrais, vous ne le supporteriez pas. Non, c’est vrai. C’est l’inconnu, le néant d’une langue battue. C’est la clef de l’inconnu, oui. Et vous avez peur. Oui, vous avez peur, tellement peur de l’inconnu.

J’ai souvent pensé, naïvement je l’admets, qu’elle coulerait pour toujours en nos veines, en nos mots et nos vers. J’ai beaucoup pensé, toujours à regret, les années ou elle se tenait reine, devant tous et en tous. La magie. Cette magie. Vous ne la connaissez plus que parfois, quand vous prononcez ces noms qui autrefois pouvaient tant. L’amour, la haine ? « Je t’aime », « Je te hais » ? Vous le sentez, ce pincement ? Cette vibration ténue qui vous empoigne les tripes ? Emotion, et Puissance.

Imaginez, l’or d’une vie ou chaque mot vous brûlerait le corps, lors même qu’un vice vous consumait, quelques syllabes le réprimaient. J’ai connu cet âge. Et cet âge me rattrape. Il m’étrangle à l’instant même, il a percé mes sacs, et je les perds, ces mots dont le nombre m’étouffait, ces sons que le monde ignorait.
Il ne me reste plus beaucoup de temps hélas. J’ai 600 ans maintenant. Je l’aimais, tellement, cette magie. Mais elle meurt. Le pouvoir d’antan est en perdition, sinon déjà éteint. Elle meurt. Elle qui vous a tant donné. Elle a construit des palais, elle a guérit les mourants, et a même fait tomber des cœurs aux mains des poètes dont les mots faisaient encore l’écho de l’Honnêteté.
Dorénavant, les palais ne murmurent que les mots que les gardes osent murmurer, les malades qui recevaient ces mots de vigueur, s’en servent maintenant pour confesser, et les cœurs sont lourds, sourds. Sourds, car les yeux n’en ont cure.

Vous qui murmurez au ciel, auriez pu le faire pleuvoir. Vous qui crachez vos mots, auriez pu les faire voler. Et ces promesses qui se perdent comme leurs phrases, n’ont plus que l’impact du vent qui les emporte.
Je meurs, et les mots m’échappent. Non. Revenez. Je vous en prie. Mes sacs se vident, s’égrènent comme le sablier de la vie qui m’échappe. Mes yeux s’assèchent, rougissent mes larmes, mouillant le sable dont les mots qu’elles ont volés se teintent.

C’est la fin, ce fut bref. Et cette terre, que dans l’ignorance vous appellerez désert, sera mon héritage, que mes sacs, mes larmes et mes mots auront laissés.
Vous le foulerez parfois, souffrant des tempêtes de ces mots délaissés, ne sachant que dans l’absence de ressac des oasis, se cache la paix des verbes restants de mes larmes en sursis.

Mais après le bonheur d’une gorgée, vous ne penserez qu’à la soif.

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Il ne savait pas qui il était, ou du moins il l’avait oublié.
Son nom ? un fantôme. Son passé ? Un oubli.
Il avait oublié qui il était comme vous auriez oublié votre portable, perdu son nom comme vous auriez perdu l’envie. Son existence est une triste histoire dont je vous conterai l’intrigue, mais l’heure n’est pas à la tristesse, car lui ne peut la ressentir. C’est un pantin sans fil, rarement chez lui car fugitif, il lui préfère de loin Ailleurs ou Là-bas, l’horizon d’une découverte ou le baiser d’une surprise, toujours changeants jamais banals, c’est le sans abris du monde invisible, le vigile s’ignorant d’un fragile équilibre.
A défaut d’avoir quelqu’un pour lui offrir beauté il est devenu voleur, volant des lambeaux de divin dans ses nombreux voyages. Un paysage, un bref visage, un acte de bravoure ou un amour désespéré, il les entasse, leurs accordant la grâce d’une pensée, et même parfois l’exquis d’un sourire.
Dément ? Il le dément, il n’y a personne, pas de voix, pas de fouet, pour lui dire quoi faire. Il n’y a rien, pas de but, pas d’amour, pour lui en défaire. C’est un concept ambulant, que j’ai moi même tant de mal à saisir, encore. Il le sait, il le sent, c’est une volonté qui le cajole et le berce, d’un bout à l’autre de la terre, pour voler ces âmes que son frère a créé, mêlant beauté de mort à la beauté de la vie, il les met dans son sac d’un geste attentionné, leur offrant la caresse d’une mort qu’ils n’attendaient pas tous.
Sur les chemins il sème le heurt, ornant les vies de tristes élus des pleurs de quelque proches, il sape la vie des gens comme l’arbre l’eau de la terre. Le monde est un champ qu’il arpente sans relâche, labourant les vieux épis, il laisse de profonds sillons dans leurs chairs, ne gratifiant les épis rayonnants que de quelques rides de bonne vigueur !
Peut-être voudriez-vous connaître le nom qui l’habite ? Ce mot que lui même ignore est « Efisto », et c’est sous ce nom que je le nommerai maintenant.

Aliesto, l’autre maillon de cette chaine en deux morceaux, est l’autre face de la pièce qui régit ce monde. Danseur invétéré d’un ballet de macabre et de féerie, il offre à son frère la compagnie de ses pas.
Le créateur, c’est ainsi qu’ils l’appellent. Il ignore le bonheur comme son frère la tristesse, car baignant en son sein il a su l’ignorer.
Son frère est un voleur, lui un créateur. « Hallucination », c’est le mot qui vous frapperait si vous le voyiez en action, les mains suspendues au vide, l’agrippant, le modelant, l’enlaçant telle une amante, ponctuant son agitation de quelques regards perdus.
C’est un virtuose, fin compositeur d’une mélodie qu’il est seul à entendre. Le talent qu’il exerce est un art ignoré, tombé dans l’oubli car trop peu le perçoivent. C’est un rite raffiné qui ne perdure qu’à travers lui, créateur et gardien à la fois, il est sa raison de vivre, et il ne vit que pour lui.
Parfois, il balaye l’air d’un geste ample, il détruit son œuvre et recommence, tel un dessinateur froissant son croquis, frustré d’incompétence, détruisant une œuvre dont Beauté serait jalouse car elle ne rimait pas de perfection

D’un œil humain, vous trouveriez ça monotone, mais ils ne connaissent pas l’ennui, seule une mélancolie passagère et diffuse qu’ils ne peuvent plus comprendre. Ils ont des émotions, mais ne les comprennent pas, ils sont prisonniers d’une routine qu’ils ignorent, vieux engrenages d’un rouage ancestral. L’un donne la vie, l’autre la reprend, l’un somme la mort, l’autre redonne vie. C’est un magnifique spectacle que dégage cette routine, digne ballet de ces deux grands danseurs.
C’était une routine surprenante, et tout allait pour le mieux. Puis tout partit de travers car les émotions frappèrent leurs esprits, eux qui en ignoraient tout. Là ou n’était présente qu’une inoffensive mélancolie s’installa une fierté dans un coin et l’ennui dans un autre, un manque oppressant s’insinua en eux, dans les plaines de leurs cœurs, flétrissant les landes de leur constance, il marcha sur la capitale de leur devoir et la conquit, s’en emparant comme une rose dans un jardin, une rose qu’il laissa faner, usée par le temps, desséchée.

Dans l’antre d’Aliesto, des âmes furent bâclées, devenant plus jolies que magnifiques, puis passables, voire ratées, certaines perfections furent reprises, volées à la riche vie qui leurs tendait les bras, éphémère richesse d’une existence humaine. Condamnée à nourrir la fierté de leur créateur, abreuvant honteusement l’envie défaillante d’un créateur de débauche, que l’envie rongeait comme les vers leur cadavre.
Efisto quant à lui se lassa de faire flétrir les os et d’abîmer les chairs, et s’enlisa dans les remords. Il négligea certains corps, ou certaines âmes. On retrouva des âmes de toute beauté, errantes, hurlantes, privées de leur corps, oubliées au milieu d’une pensée ou noyée dans un chagrin. Et des corps flétris sur terre, vestiges de vies remplies, privés de leur pensée, ayant ce regard vide reflétant tout le manque de la vie les habitant. Il tomba également amoureux, souvent. Probablement autant de fois qu’il y avait de Beauté à arracher à ce monde, il en négligea certaines, certaines qu’il les enlacerait dans l’année, elles se retrouvèrent entre ses mains seulement des années plus tard. Son inconstance n’avait d’égale que celle de son frère.

Ils se lassèrent toujours plus, et prirent un jour les outils de l’autre, l’un partant moissonner le monde de ce qu’il avait tant créé, l’autre créant ce qu’il avait tant détruit.

Aliesto devint fou, éperdu d’une mortelle, il était déchiré, heurtant les murs de souffrance qui bornait son monde d’immortel, il s’accrocha encore à sa corvée, ne comprenant que peu ce qui lui arrivait. Les larmes qu’il laissa en chemin, incomprises elles aussi, partirent gorger les nuages que ses pleurs faisaient gronder.
Tout ne fit qu’empirer, encore et encore. Tous deux pâles reflets de leur grandeur d’antan, ils ne pouvaient encore moins assurer le labeur de leur frère, ni même s’y consacrer comme ils le devraient, les émotions ravageant la clarté de leurs esprits, puis un jour, ils disparurent, évanouis comme poussière au vent. Et jamais personne ne les revit.
N’ayant plus personne pour assurer ces rôles, il devint celui de tout le monde, celui des humains et de Nature, et le monde de l’invisible s’estompa, ne trouvant la force d’exister que dans les rares chose que Science n’explique.

Ce n’est que des années plus tard qu’une femme conta à son fils une rencontre inhabituelle, d’un homme désemparé, les yeux rougis par le chagrin, l’homme divaguait d’après elle. Cet homme se nommait Aliesto, et il pleurait constamment, les larmes de son seul regret, celui d’avoir attendu trop longtemps pour pouvoir pleurer dans l’étreinte des bras de celle qui faisait fleurir cette tombe.

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« J’aurais tant aimé marcher librement, vivre de chasse et de pêche, d’air pur et de nature.
J’aurais tant aimé que ce soit l’aube qui éveille ma pensée, plutôt que l’horloge que trop d’années ont réglé.
Que ce soit le chant des oiseaux qui me tire de ma couche, plutôt que la routine de mon réveil. Vivre simplement, de ce que je peux trouver, et non voler et bafouer.
J’aurais aimé déambuler sans but, et m’allonger pour ne rien faire, la terre vibrant sous mes paumes. La rêverie pour seule compagne, j’en ai rêvé, je le jure.
Prendre mon temps, n’avoir d’heure que la nécessité. La faim, la soif, l’amour, la chaleur d’un feu, le contact d’un corps, c’est tout ce dont j’aurais eu besoin.
Je n’aspirais qu’à la simplicité et j’ai bien failli l’avoir.
Mais le monde ne me l’a pas permis. Et il ne te le permettra pas mon garçon, alors plus que l’impression que tu donnes, soigne ta pensée, et nourris ton esprit.
Rêve toujours plus, mais sois lucide.
Prends ton temps, mais ne cède pas.
Sois fort, et laisse le vernis des gens glisser sur tes valeurs.
Profite de la vie, mon fils.
Profite.
Tu es, et c’est important car moi, je ne suis plus »

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