Désert et oasis

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C’est un beau soir pour prendre la plume, un soir commun, ou la pâle lumière de la lune se perd dans l’océan de noir dont s’est drapé le ciel.
Je me nomme William D’Albose, et je fais partie de ces gens qui croient au pouvoir des mots.

Vous pensez tout savoir des mots. Ceux que vous murmurez au ciel la nuit, que vous perdez parfois, ou qu’une colère vous fait cracher. Ces mots formulant des promesses, chaque année, pour ne pas trouver celui de « Conviction ».
Je les ai tous connus, ceux que vous employez, ceux du riche comme ceux du pauvre, masque du vice tant qu’As du vol, ceux-ci remplissent mes poches, les autres emplissent mes sacs.
Vous l’ignorez, c’est vrai, ce poids qui leste mes sacs, vous l’ignorez, pas vrai ? Si je les ouvrais, vous ne le supporteriez pas. Non, c’est vrai. C’est l’inconnu, le néant d’une langue battue. C’est la clef de l’inconnu, oui. Et vous avez peur. Oui, vous avez peur, tellement peur de l’inconnu.

J’ai souvent pensé, naïvement je l’admets, qu’elle coulerait pour toujours en nos veines, en nos mots et nos vers. J’ai beaucoup pensé, toujours à regret, les années ou elle se tenait reine, devant tous et en tous. La magie. Cette magie. Vous ne la connaissez plus que parfois, quand vous prononcez ces noms qui autrefois pouvaient tant. L’amour, la haine ? « Je t’aime », « Je te hais » ? Vous le sentez, ce pincement ? Cette vibration ténue qui vous empoigne les tripes ? Emotion, et Puissance.

Imaginez, l’or d’une vie ou chaque mot vous brûlerait le corps, lors même qu’un vice vous consumait, quelques syllabes le réprimaient. J’ai connu cet âge. Et cet âge me rattrape. Il m’étrangle à l’instant même, il a percé mes sacs, et je les perds, ces mots dont le nombre m’étouffait, ces sons que le monde ignorait.
Il ne me reste plus beaucoup de temps hélas. J’ai 600 ans maintenant. Je l’aimais, tellement, cette magie. Mais elle meurt. Le pouvoir d’antan est en perdition, sinon déjà éteint. Elle meurt. Elle qui vous a tant donné. Elle a construit des palais, elle a guérit les mourants, et a même fait tomber des cœurs aux mains des poètes dont les mots faisaient encore l’écho de l’Honnêteté.
Dorénavant, les palais ne murmurent que les mots que les gardes osent murmurer, les malades qui recevaient ces mots de vigueur, s’en servent maintenant pour confesser, et les cœurs sont lourds, sourds. Sourds, car les yeux n’en ont cure.

Vous qui murmurez au ciel, auriez pu le faire pleuvoir. Vous qui crachez vos mots, auriez pu les faire voler. Et ces promesses qui se perdent comme leurs phrases, n’ont plus que l’impact du vent qui les emporte.
Je meurs, et les mots m’échappent. Non. Revenez. Je vous en prie. Mes sacs se vident, s’égrènent comme le sablier de la vie qui m’échappe. Mes yeux s’assèchent, rougissent mes larmes, mouillant le sable dont les mots qu’elles ont volés se teintent.

C’est la fin, ce fut bref. Et cette terre, que dans l’ignorance vous appellerez désert, sera mon héritage, que mes sacs, mes larmes et mes mots auront laissés.
Vous le foulerez parfois, souffrant des tempêtes de ces mots délaissés, ne sachant que dans l’absence de ressac des oasis, se cache la paix des verbes restants de mes larmes en sursis.

Mais après le bonheur d’une gorgée, vous ne penserez qu’à la soif.

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