Farewell

Publié le
Commentaires 0

Tu aurais dû la voir, cette foule massée sur les bancs
Les yeux brillants, les habits noirs, les cierges blancs
Et alors que le passé tombait aux pieds de l’avenir
Le glas des cloches battait le rythme des souvenirs

De ce tic que tu avais de mordiller l’intérieur de ta joue, étirant à répétition tes lèvres d’un côté en une moue attentive
Celui d’insister envers et contre tout refus, et de le faire quand même, le justifiant d’une raison toujours plus inventive
Ou sous l’indignation à table de te redresser la tête haute et te raidir, sourcil haussés, les yeux baissés
Vers tes couverts ou ta serviette, minutieusement, machinalement, les aligner ou la plier jamais assez

Et ta voix partir dans les aigus lorsque le rire te désarme
Une main levant tes lunettes, l’autre tamponnant tes larmes
Mamie pipelette on taquinait, mamie kleenex on s’amusait
A ton hommage public c’est ce dernier surnom qui nous muselait

Ce même aigus qu’on retrouvait dans tes vocalises
Ces chansonnettes que tu poussais sur le moindre air familier
Quand tu n’étais pas à recopier moult dictons et maintes devises
N’importe quoi pour embellir la vie, en oublier le sablier

Je te revois tripoter tes boucles d’oreilles d’un air songeur
Je te revois regarder par la fenêtre d’un air rêveur
Ecarter un pan de rideau pour y passer la tête
Fredonnant parfois distraitement un air de tête

Je me souviens de tes lunettes aux vives couleurs et formes alambiquées
Des yeux qu’ils hébergeaient, d’un bleu azur que même le temps ne su domestiquer
Je l’ai croisé ce regard depuis le dos d’un poney, à travers le filet d’une éprouvette
Par dessous un gant sur le front, un lit bordé, une tisane ou un dîner à la sauvette

J’entends encore les serveurs répondre à tes questions, s’évertuer
A lister dans les moindres détails de quoi chaque plat était constitué
Tes yeux s’usant sur ton menu et sur celui des autres pour situer
Le choix de chacun et l’argument de ta décision finale accentuer

Je me rappelle de tes histoires tentaculaires aux innombrables fins
De tes histoires tant de colères que de rires sans fins
Et de te perdre dans nombre de détails qui jamais ne finissent
Peut-être consciente que ce sont eux qui au final nous définissent

Et ces détails tu les aimais, tu les collectionnais
Perdue dans ta mémoire d’un verbe passionné
Imprégnant chaque souvenir de couleurs et d’odeurs
Peignant et décrivant le moindre aspect avec ardeur

Et j’aime à penser que ton dernier voyage fut à ton image
Imprévu et spontané, la mine distraite à regarder le paysage
Et je reprends tes mots du fond d’un coeur comme un enclume
Sache que ton stylo est tombé mais je reprends ta plume

Et il va nous falloir tant bien que mal tourner cette page
En y laissant comme tu le faisais un énième marque-page
Car tous les encriers du monde s’assècheraient de reporter
Sur le papier tous les sourires que tu nous auras apportés

Le regard maintenant voilé
Le corps à jamais suspendu
Un astre de plus sur le ciel étoilé
Etoile filante au décollage inattendu

Adieu mon amie, mamie, maman, et reine
Vois en ces mots se déchirer l’amour et la peine
Ne reste de ton visage que photos et poussière
Mais ta voix résonnera toujours comme si c’était hier

Licence Creative Commons
Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d'Utilisation Commerciale – Pas de Modification 4.0 International.

Auteur :

Commentaires

Pas encore de commentaire pour cet article.

Commentaire

Rédigez votre commentaire à l’aide du formulaire ci-dessous. Les champs marqués d’une étoile (*) sont obligatoires. Vous devez effectuer un aperçu de votre commentaire avant de l’envoyer.